La fiscalité environnementale, bouée de sauvetage du budget de l’Etat?

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Une hausse de la TVA sur les produits pour lesquels une alternative verte existe rapporterait à terme 5 milliards d’euros.

Pour réussir l’assainissement des finances publiques, le gouvernement fédéral devrait encore trouver 1,4 milliard d’euros cette année, 5 milliards l’an prochain et jusqu’à 17 milliards à l’horizon 2019, a estimé le comité de monitoring dans une analyse publiée à la fin juillet. L’addition sera vraisemblablement plus élevée encore puisque les quatre partis réunis autour des formateurs Charles Michel (MR) et Kris Peeters (CD&V) souhaitent réduire la fiscalité et la parafiscalité sur le travail, afin d’améliorer la compétitivité de l’économie belge.

Dans ce contexte, on lorgne évidemment la fiscalité environnementale et le fameux “shift fiscal”. “Ne mettons pas la charrue avant les boeufs, prévient Jean Baeten, expert fiscal à la FEB. Il faut d’abord décider très concrètement des charges fiscales que l’on baisse avant d’envisager celles que l’on voudrait éventuellement augmenter. En ce domaine, nous avons appris à être très prudents. Que l’emballage soit vert ou d’une autre couleur, il ne serait pas acceptable que la pression fiscale augmente.” Il redoute en particulier toute imposition supplémentaire sur l’énergie, qui impacterait négativement la position concurrentielle de la Belgique.

Frédéric Chomé, directeur de Factor-X, un bureau de consultance spécialisé dans le développement durable, évite cet écueil en ciblant sa proposition sur les biens de consommation : une TVA environnementale s’ajouterait à certains produits pour lesquelles une alternative écoresponsable existe. Des fruits produits localement et de manière écologique bénéficieraient ainsi d’un avantage compétitif sur des fruits importés, produits hors saison à grands coups d’engrais. “Cela coupe les ailes aux produits low cost qui se sont développés au détriment de l’environnement et de facteurs humains”, analyse-t-il.

Il suggère de lancer le mécanisme avec certains produits clairement définis (par exemple des aliments déjà labellisés) et d’élargir ensuite la palette des produits et les taux de la TVA environnementale. “On montre ainsi que la politique s’inscrit dans la durée, que les entreprises ont le temps de s’adapter et de grandir. Cela contribuera au basculement de l’appareil de production du pays et ce sera bénéfique pour les entreprises, qui sont par ailleurs mes clients de tous les jours en tant que consultant.” Cela implique, bien entendu, que la TVA environnementale soit implémentée en concertation avec les secteurs concernés. En vitesse de croisière, cette taxe rapporterait 5 milliards par an, calcule Frédéric Chomé. Il préconise de réinvestir une partie de cette somme dans l’aide aux entreprises vertes.

Pas de contre-indication absolue mais… Trop beau pour être vrai ? C’est un peu ce que pense Philippe Ledent, économiste chez ING : “L’impact réel d’un tel shift nécessite des calculs économiques bien plus complexes, je reste donc très prudent. Certes, il n’y a pas de contre-indication absolue à envisager une fiscalité verte et si cela peut aider à baisser le coût du travail, pourquoi ne pas explorer cette piste ? Mais cela doit se concrétiser intelligemment. L’objectif politique, par exemple orienter des comportements, ne peut pas primer sur l’impact économique.”

L’utilisation de l’outil TVA flirte en outre avec un certain protectionnisme, pour des motivations sans doute respectables, qui se heurtera bien vite aux règles européennes de libre-concurrence. “Quelle complexité pour les commerçants, renchérit Jean Baeten. Pour un même produit, il y aurait des TVA différentes selon la provenance ou d’autres critères. Cela me semble concrètement très difficile à réaliser.” L’expert de la FEB doute aussi de la pertinence d’utiliser une taxe “biodégradable” (si les comportements des consommateurs et des producteurs évoluent, la taxe ne rapportera plus rien) pour mener un ajustement budgétaire structurel. Ce à quoi Frédéric Chomé réplique que le basculement de l’appareil de production crée de l’emploi (100.000 nouveaux postes d’après lui) et relance structurellement la machine. “La taxe s’applique sur le produit final et n’impacte pas la compétitivité des entreprises dans leurs relations commerciales directes, ajoute-t-il. Elle incite les entreprises à fabriquer, développer et commercialiser des produits qui auront la faveur des consommateurs.”

Le patron de Factor-X fait son lobbying. Du côté des partis qui négocient une coalition suédoise, tout le monde n’est pas forcément sourd à ses arguments. Le programme de la N-VA prévoyait bien des recettes nouvelles en taxant davantage les produits et comportements polluants (dans des proportions modestes : au maximum 12,5 % de l’effort d’assainissement viendrait des recettes), tandis que le CD&V envisageait une profonde réforme de la TVA. En revanche, le programme du MR n’évoquait que des baisses de TVA et même l’exonération des fruits et légumes afin de “promouvoir une alimentation saine”.

CHRISTOPHE DE CAEVEL

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