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Pourquoi Charles Michel doit miser sur la concertation sociale

Le duo de formateurs Charles Michel (MR) – Kris Peeters (CD&V) tente de mettre sur pied une coalition inédite de centre-droit, dite “suédoise” (le bleu libéral et le jaune flamand), pour gérer l’Etat belge. Inédite, d’abord et avant tout, dans son déséquilibre linguistique : moins d’un tiers des députés francophones seraient prêts à lui accorder leur confiance. Cette faible proportion suffit à forger la conviction d’une domination flamande sur l’Etat fédéral plus prégnante que jamais.

Cette conviction repose en outre sur un impressionnant travail de communication opéré depuis des mois par le PS, et dont les points d’orgue furent les débats entre Paul Magnette et Bart De Wever. Le message de diabolisation de la N-VA fut efficacement martelé (avec la bénédiction des nationalistes, auxquels l’affrontement a aussi été profitable du point de vue électoral), au point de conduire à cet incroyable raccourci dans l’opinion : être de droite en Belgique, c’est être pour l’indépendance de la Flandre. Cela a obligé le MR à se démarquer nettement de De Wever durant la campagne, à clamer son refus de toute alliance avec lui. Ces mâles déclarations sont aujourd’hui renvoyées à la figure de Charles Michel et Didier Reynders.

Ces derniers ont désormais entamé un délicat travail de communication en sens inverse. Ils insistent sur la cohérence idéologique de la coalition envisagée (“sans les socialistes, nous pourrons enfin mener les réformes structurelles nécessaires”) et ils assurent avoir convaincu les nationalistes d’abandonner non seulement toute idée d’avancée institutionnelle sous cette législature, mais aussi de remiser leurs propositions explosives sur la remise en cause de l’indexation automatique des salaires ou la limitation dans le temps du droit aux allocations de chômage. Les éléments les plus symboliques d’un éventuel bain de sang social suscité par la coalition kamikaze ou suédoise (le glissement progressif d’un terme à l’autre est également très significatif) semblent ainsi prudemment mis entre parenthèses. Notons au passage que, en cette période quasi déflatoire, le maintien de l’indexation des salaires est finalement une concession qui ne mange pas beaucoup de pain. En revanche, aucune balise préalable n’est fixée pour la réforme des pensions, la véritable urgence socio-budgétaire pour laquelle nous n’échapperons sans doute pas à des confrontations très musclées.

La feuille de route négociée par Charles Michel reprend un autre élément, d’apparence plus formelle mais sans doute pas innocent : l’engagement de respecter le dialogue et la concertation sociale. Nous sommes là bel et bien au coeur du système belge, cet entrelacs de compromis en tous sens que la N-VA exècre. Charles Michel et Kris Peeters savent très bien que la réussite de leur pari passe par le maintien d’une certaine paix sociale, en dépit de mesures de rupture qui susciteront inévitablement la grogne syndicale.

A plus long terme, la préservation de la concertation sociale est aussi un rempart contre la dislocation de l’Etat. Que l’on apprécie ou non leur action, les syndicats — ce n’est plus vraiment le cas du côté patronal — et les mutuelles sont en effet aujourd’hui parmi les derniers piliers nationaux dans un pays qui n’a plus ni opinion publique, ni presse, ni partis politiques fédéraux. Un attelage politique très déséquilibré sur le plan communautaire ne peut donc se payer le luxe de secouer un peu trop vivement de tels piliers. On peut donc s’attendre, par exemple, à ce que les premières mesures fiscales d’une coalition suédoise soient ciblées sur les bas salaires et le pouvoir d’achat, afin d’allécher les travailleurs les plus modestes.

CHRISTOPHE DE CAEVEL

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