L’histoire rocambolesque de deux agents fédéraux qui auraient profité de l’eBay de la drogue, Silk Road

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L’Ebay de la drogue, Silk Road, fait encore parler de lui plus d’un an après l’arrestation de son fondateur. Et pour cause : deux agents fédéraux auraient largement tiré profit du système.

Un récent rapport de 95 pages fait état de nombreux manquements des deux agents concernés, Bridges, et Force. Ils auraient “abusé de leurs fonctions (…) pour leur enrichissement personnel”. Le premier, Bridges, est accusé d’avoir détourné à son compte près d’un million de dollars du site de Silk Road. Pour comprendre comment, mieux vaut s’accrocher.

820 000 dollars volés à Silk Road

A cette époque, Bridges est membre de la Batimore Silk Road Task Force, une équipe fédérale chargée d’enquêter sur le site. Afin de mieux comprendre les dessous de Silk Road, il entre en contact avec Curtis Clarck Green. Ce dernier lui montre comment utiliser le site, et lui donne l’accès à l’un de ses comptes administrateurs, du pseudonyme “Flush”.

En janvier 2013, plusieurs centaines de milliers de dollars disparaissent soudainement de Silk Road. On les retrouvera sur un autre site d’échange de bitcoins, le japonais Mt. Gox. Le fondateur de Silk Road, Ross Ulbricht, visiblement un peu agacé par cette perte, mène son enquête, et finit par mettre la main sur le coupable : le vol aurait été opéré depuis “Flush”. Or, ce compte appartient, selon lui, à Curtis Clarck Green. Ce dernier a beau nier farouchement, Ross Ulbricht va commanditer son assassinat. Par chance, celui-ci n’aura jamais lieu. Selon l’enquête menée par les autorités, Bridges serait à l’origine du vol. C’est bien lui qui tire les ficelles de “Flush”, mais aussi d’un autre compte, vers lequel l’argent va transiter un temps. Autre fait accablant : il aurait créé à peu près au même moment une société factice, et un compte afilié, sur lequel Mt. Gox versera quelques jours plus tard 820 000$. Soit le montant exact du vol de Silk Road. Bridges aurait agi avec la complicité de Force, le deuxième agent fédéral impliqué dans l’affaire, comme le prouvent des sms échangés entre les deux hommes.

“Carla Sophia”, reine du chantage

Force, lui, croule littéralement sous les accusations. Agent de la DEA (Drug Enforcement Admnistration) depuis une quinzaine d’années, il est lui aussi chargé de mettre la main sur le fondateur de Silk Road par le gouvernement. A de nombreuses reprises, il se servira d’informations confidentielles pour faire chanter Ross Ulbricht.

Il a agi sous couvert d’anonymat, derrière des pseudonymes parfois plutôt cocasses, comme “French Maid”. Avec ce petit nom digne d’un grand caïd, Force envoie un premier message à Ross Ulbricht. Il prétend détenir des informations hautement confidentielles dans un premier mail qu’il signe machinalement par “Carl”, son vrai prénom. Quelques heures plus tard, se rendant compte de son erreur, il renvoie un message à Ulbricht, sous l’objet “Whoops !”. Il y dit finalement s’appeller “Carla Sophia”, et avoir “plein d’amis dans le monde entier”. Contre 98 000$, il aurait révélé à Ulbricht des éléments clés de l’enquête fédérale. Le rapprochement entre Force et cette fameuse “French Maid” est rapidement fait. Tous deux utilisent la même version d’un logiciel, une version dépassée, et font les mêmes erreurs grossières lorsqu’ils parlent en langage crypté.

“Trouvez quelque chose d’autre à faire”

Sous un autre pseudonyme, “Death From Above”, Force va là encore tenter de faire chanter Ulbricht. Il dit cette fois connaître son nom, et être près à le révéler aux autorités, sauf si ce dernier lui verse 250 000$. Il évoque aussi un lien entre Ulbricht et le (faux) meurtre de Curtis Clarck Green. Ulbricht répondra : “je ne sais pas qui vous êtes et quel est votre problème mais laissez-moi vous dire une chose : je me casse le cul tous les jours depuis deux ans pour faire de cet endroit ce qu’il est. Je garde la tête froide, et je ne m’implique pas dans les drames (…) j’ai reçu des menaces sur le site et maintenant grâce à vous j’ai des menaces sur ma vie. Je sais que je fais quelque chose de bien en dirigeant ce site (…) arrêtez de m’envoyez des messages et trouvez quelque chose d’autre à faire”. Force a beau insister, cette fois, Ulbricht ne cède pas. Dans le rapport officiel rendu par les autorités fédérales sur l’affaire Silk Road, aucune mention n’est faite de “Death From Above”. Force l’aurait tout bonnement effacée.

Force, qui pensait sûrement qu’on ne s’en apercevrait jamais, a fait bien pire, en extorquant Ulbricht sous sa couverture officielle, “Nob”. A l’origine, c’est bien le gouvernement qui lui donne l’ordre de demander 90 000$ à Ulbricht. Force dira qu’Ulbricht n’a finalement jamais versé cet argent. Pourtant, une seule phrase non cryptée du fondateur du site va le mettre dans une position délicate. Ulbricht y dit avoir envoyé l’argent “comme convenu”. La somme en question sera retrouvée sur un compte personnel de Force, dans une société basée en Slovénie.

Les comptes bancaires de Force se renflouant à une vitesse étonnante, les soupçons sur lui n’ont pas tardé à peser. Juste après avoir pris connaissance de cette enquête sur lui, Force a démissionné de la DEA. Bridges fit de même, quelques mois plus tard.

Perrine Signoret

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