L’AFSCA va-t-elle trop loin? Son CEO répond aux critiques

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La start-up Menu Next Door accuse le gendarme de la sécurité alimentaire de vouloir mettre les restaurateurs à genoux. L’Afsca défend son rôle de protection des consommateurs. Les fédérations horeca la soutiennent.

Dans une lettre ouverte rédigée au picrate, le fondateur de Menu Next Door attaque frontalement l’Afsca. L’Agence fédérale pour la sécurité alimentaire y est décrite comme une administration ringarde, inadaptée à la nouvelle économie numérique. Elle intimiderait les particuliers proposant leurs repas sur Menu Next Door avec ses contrôles intempestifs. “L’Afsca met les restaurateurs à genoux”, écrit Nicolas Van Rymenant, fondateur de Menu Next Door.

L’entrepreneur, qui s’inscrit dans le mouvement en plein boom de l’économie collaborative, a la désagréable impression que ses chefs amateurs se font harceler par l’Afsca. “Sa mission prioritaire est désormais de s’en prendre aux particuliers qui préparent des repas pour leurs voisins sur Menu Next Door”, poursuit-il. Selon Nicolas Van Rymenant, l’Afsca a mené une véritable campagne d’inspection ciblée sur Menu Next Door, avec à la clé une trentaine de contrôles chez des cuistots amateurs en à peine deux semaines.

Nouvelles cases

Le fondateur de la jeune start-up, qui vient de se déployer à Paris après avoir débuté à Bruxelles, n’est pas opposé aux contrôles de l’Afsca, qu’il estime nécessaires. Mais il souhaiterait obtenir un peu de latitude de la part du gendarme fédéral. Selon lui, le service proposé via sa plateforme ne peut être comparé à un travail classique de restaurateur. “Notre concept est bienveillant et innovant. Il faut trouver de nouvelles cases. Les règles actuelles ne sont pas adaptées”, martèle-t-il.

Comme beaucoup de start-up numériques se revendiquant de l’économie collaborative, Menu Next Door considère que c’est le cadre réglementaire qui doit s’adapter à son business, et pas l’inverse. Le concept de la jeune entreprise : regrouper sur une plateforme en ligne des particuliers qui cuisinent des plats à emporter. L’Afsca s’estime compétente pour contrôler ces chefs amateurs dès lors qu’ils vendent des produits alimentaires préparés. Menu Next Door estime de son côté que ces contrôles ne se justifient pas pour des particuliers qui exercent pour la plupart cette activité de façon occasionnelle. Nicolas Van Rymenant butte notamment sur la cotisation de 140 euros par an exigée par l’Afsca. Il est prêt à la prendre en charge pour les membres de sa plateforme, mais il considère qu’elle devrait être modulée en fonction de la fréquence de l’activité.

Concurrence déloyale

L’Afsca refuse pour sa part de développer une “sécurité alimentaire à deux vitesses”, l’une pour les restaurateurs, l’autre pour les plateformes “collaboratives” (lire l’interview de Herman Diricks ci-jointe). Cette démarche reçoit le soutien des représentants du secteur de l’horeca. “Menu Next Door, c’est de la concurrence déloyale”, tranche Philippe Trine, vice-président de la fédération horeca Bruxelles, en charge des restaurants. “Comme tous les restaurateurs, ils doivent payer leurs taxes, installer la black box et avoir des contrôles de l’Afsca”, commente le patron du restaurant La Rotonde.

Alors que l’Afsca a, par le passé, été décriée par les restaurateurs, l’horeca semble désormais considérer que l’agence fait plutôt du bon boulot. “Personnellement, je n’ai pas à m’en plaindre”, assure Paul Van Havere, patron du restaurant Loungeatude à Louvain-la-Neuve, et administrateur à la Belgian Restaurants Association. “Il faut mettre de l’ordre dans ce secteur, où il y a beaucoup trop de cow-boys”, pointe Paul Van Havere. Le restaurateur fustige les acteurs peu scrupuleux qui pullulent dans un secteur où le travail au noir est une longue tradition. La forte rotation du personnel et l’ouverture, chaque année, de nouveaux établissements à la santé financière fragile, complètent le tableau d’un secteur précaire. Fin 2014, nous révélions que près d’un nouveau restaurant sur deux fermait dans les cinq ans.

“Si le secteur souffre, c’est parce qu’il y a un manque de professionnalisme dans les restaurants”, estime Paul Van Havere. Cela se marque aussi dans le respect des règles de sécurité alimentaire. Les chiffres de l’Afsca concernant l’horeca montrent que 80 % des contrôles se terminent par un avis favorable. Mais c’est bien au niveau des contrôles d’hygiène dans les cuisines des restaurants que les résultats sont les moins bons, avec 55,7 % de contrôles favorables.

Tatillon

Ce qui ne veut pas forcément dire que tous les restaurants présentent une hygiène déplorable. L’Afsca peut se révéler tatillonne. “C’est un peu comme les contrôleurs du fisc. Il faut toujours qu’ils trouvent quelque chose”, témoigne Paul Van Havere. Le restaurateur prend pour exemple un contrôle qui s’est terminé par une demande de l’Afsca d’afficher un autocollant rappelant au personnel de se laver les mains. “L’Afsca me demandait de l’afficher au-dessus d’un évier utilisé par les clients, ce que je ne trouve pas très esthétique. J’ai quand même eu un avertissement.”A part cette mésaventure, le restaurateur estime que les demandes de l’Afsca sont généralement justifiées. Même si elles peuvent entraîner certains frais supplémentaires. “Si vous vous lancez dans la restauration, vous devez avoir du matériel professionnel à niveau. Si vous ne pouvez pas vous le permettre, il ne faut pas se lancer.”

La cotisation annuelle de 140 euros, dénoncée par Menu Next Door, ne semble pas être une barrière à l’entrée insurmontable. De même que les investissements nécessaires pour avoir du matériel aux normes, comme par exemple des frigos suffisamment froids. “Nous imposons une obligation de moyens, pas de résultat s”, rappelle-t-on du côté de l’Afsca. Cela signifie que le professionnel ne doit pas nécessairement avoir du matériel dernier cri. Mais que ses engins doivent fonctionner correctement. Un frigo, quel que soit son âge, doit descendre en dessous de 4°C.

Grille d’hygiène

Un certain niveau de qualité, c’est aussi une question de survie pour les restaurateurs. “Une réputation peut très vite se défaire dans ce secteur”, remarque Paul Van Havere.

Menu Next Door en est conscient. Un incident sanitaire chez un restaurateur amateur serait une très mauvaise publicité. “Nous avons mis en place nos propres procédures de contrôle”, assure Nicolas Van Rymenant. Celui-ci compte sur la “grille d’hygiène” qu’il a développée à l’attention de ses membres et sur les ratings (notations) postés par les clients, qui comprennent notamment une évaluation (forcément très sommaire) de l’état de la cuisine du chef.

Cela n’empêchera pas l’Afsca de continuer à surveiller les cuisiniers amateurs de Menu Next Door. Manipuler des produits alimentaires, ça ne s’improvise pas, insiste l’administration fédérale. Un certain degré de connaissances et de formation s’impose dans ce secteur sensible.

Or, une enquête menée en février dernier par l’Institut de santé publique montre que le consommateur lambda a des lacunes en matière de sécurité alimentaire. Moins de la moitié de la population dégèle la viande, la volaille ou le poisson de manière sûre. Et seule une personne sur cinq nettoie son frigo au moins une fois par mois, comme c’est recommandé. “Nous avons une législation à appliquer, rappelle Jean-Sébastien Walhin, porte-parole de l’Afsca. Les contrôles se poursuivront.”

GILLES QUOISTIAUX

“NOUS VOULONS ÉVITER UNE SÉCURITÉ ALIMENTAIRE À DEUX VITESSES “

“Nous avons réalisé une petite trentaine de contrôles chez des membres de Menu Next Door, qui ont pour la plupart débouché sur un avis favorable.”© PG

Herman Diricks est le CEO de l’Agence fédérale pour la sécurité alimentaire (Afsca). Il répond aux critiques formulées par Menu Next Door.

Menu Next Door vous accuse de mettre les restaurateurs à genoux. Que leur répondez-vous ?

Ce n’est pas la première fois que l’agence fait l’objet de critiques sans fondement. Ce qui me gêne, ce sont les insinuations qui ne sont pas basées sur des faits objectifs. Nous avons effectué 17.000 contrôles en 2014 dans l’horeca, dont plus de 80 % se sont déroulés favorablement. Menu Next Door estime que l’agence met les agriculteurs sur la paille. Pourtant, 95 % des contrôles dans l’agriculture se sont déroulés favorablement. Quant aux producteurs de fromage, on en a entendu un dans la presse, mais nous en avons contrôlé 331. 95,5 % d’entre eux avaient des check-lists favorables et seulement trois ont reçu un P.-V.

On fait un mauvais procès à l’Afsca ?

C’est un procès d’intention. On nous accuse d’excès de zèle, de réaliser des inspections chez les particuliers qui utilisent Menu Next Door juste pour obtenir leur cotisation de 140 euros… La réalité, c’est que nous sommes non seulement un service d’inspection, mais aussi un service d’information et de formation à l’attention des opérateurs, pour les aider à prester dans les meilleures conditions au niveau de la sécurité alimentaire.

Menu Next Door trouve abusif de contrôler des particuliers qui, pour la plupart, proposent leurs repas de façon occasionnelle.

Le fondateur de Menu Next Door présente son entreprise d’une manière un peu idyllique. Ce serait une communauté de partage de repas entre voisins. Mais quand on regarde d’un peu plus près, c’est bien plus que cela. Les gens que l’on a contrôlés proposent des repas contre rémunération à destination de clients qui sont invités à venir les chercher sur place. Nous ne sommes pas contre cette activité. Mais ce que l’on veut éviter, c’est de créer une sécurité alimentaire à deux vitesses, où on contrôlerait les restaurateurs mais pas les membres de Menu Next Door, alors que certains d’entre eux produisent autant voire plus de repas qu’un petit restaurant. Nous ciblons, et c’est notre mission, les gens qui mettent des denrées alimentaires sur le marché.

Est-ce que vous vous acharnez sur Menu Next Door ?

Nous avons réalisé une petite trentaine de contrôles, qui ont pour la plupart débouché sur un avis favorable. Par contre, certains particuliers ont regretté le fait que Menu Next Door n’avait pas attiré leur attention sur certaines pratiques en matière de sécurité alimentaire. J’ai l’impression que Menu Next Door essaie de rejeter sa propre responsabilité sur l’agence.

La sécurité alimentaire s’est-elle améliorée en Belgique suite au travail de l’Afsca ?

Dans nos chiffres, nous constatons une amélioration – certes légère – de la sécurité alimentaire et de la conformité à la législation. Depuis 2003, nous avons formé environ 50.000 personnes actives dans la chaîne alimentaire.

Vos relations avec le secteur de la restauration se sont-elles améliorées ?

Nous avons beaucoup investi dans le dialogue avec le secteur, notamment avec les fédérations sectorielles. Mais nous restons une organisation d’inspection. Et je connais peu de gens qui aiment se faire contrôler.

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