Fabian Thylmann, du porno à l’immobilier

Fabian Thylmann © Thomas De Boever

Fabian Thylmann a un passé de roi du porno. Il était le plus important exploitant de sites de sexe. Aujourd’hui, depuis Bruxelles, il est actif comme investisseur dans plusieurs starters. Ainsi, avec Shelterr, il cherche à concurrencer les sites immobiliers comme Immoweb.

L’Allemand Fabian Thylmann (38 ans) a un jour été the King of Porn en tant qu’exploitant de sites pornographiques comme YouPorn et PornHub. Aujourd’hui, l’auto-proclamé geek de l’informatique investit, à partir de Bruxelles, le produit de la vente de son empire érotique via STATSnet dans toutes sortes de sociétés internet. Il a ainsi injecté un demi-million d’euros dans Shelterr, le site immobilier exploité par Ben Wayenberg. Dans un deuxième cycle d’investissements, en cours actuellement, il désire collecter cinq fois autant.

Pourquoi Shelterr a-t-il besoin de ces 2,5 millions d’euros supplémentaires ?

Thylmann: “Shelterr existe depuis décembre 2014. Les premières années, on a investi beaucoup de temps et d’énergie dans les fondations du site immobilier. Nous nous trouvons aujourd’hui à la veille de la globalisation de l’industrie immobilière digitale. La commercialisation coûte de l’argent. Des accords mondiaux ont été mis sur pied avec des agences comme ERA, Barnes, Remax, Sotheby’s et Engels & Volkers. Cela nous permet, dès le démarrage dans un pays particulier, de proposer d’emblée des propriétés et de générer du trafic via le site.”

Pour le deuxième cycle d’investissement, recherchez-vous de l’argent auprès de connaissances ou d’amis (family, fools and friends) ?

Thylmann: “Non. Pour la deuxième phase, nous avons cherché et trouvé de la smart money : des personnes ayant de l’expérience dans l’immobilier ou internet, ou un réseau avec une valeur ajoutée pour Shelterr. Nous mettons la dernière main à la pâte pour finaliser les contrats. Il y a encore de la place pour un petit investisseur. Je vais moi-même investir un peu plus d’un tiers, lors de cette levée de fonds.”

Selon quels critères entrez-vous dans un nouveau projet ?

Thylmann: “Avec STATSnet, j’investis sur base de l’idée et de l’équipe. C’est l’approche américaine. Le business plan joue seulement un rôle secondaire. Une personne avec une brillante idée n’a pas encore de business plan réaliste, à ce stade précoce. En Europe, la plupart des investisseurs dans des starters examinent d’abord les chiffres sur trois ou cinq ans. En cas de manque de moyens un an jusqu’à un an et demi après le démarrage, les jeunes entreprises en Europe ont difficile à lancer le produit ou le service. C’est souvent la raison pour laquelle le projet ne se lance tout simplement pas.

Bien sûr, je veux aussi gagner de l’argent, mais à ce stade précoce je ne désire pas nécessairement savoir quand et comment. Je trouve surtout plaisant de développer une jeune société avec mon input technique et mon expérience en management. Certaines choses et combinaisons, ces starters ne les voient pas encore. Opter pour des personnes brillantes et enthousiastes a encore d’autres avantages. Après l’échec de leur plan initial, ils peuvent rapidement proposer une alternative. Et si l’entreprise est finalement arrêtée, je connais au moins des personnes, qui viendront plus tard avec une nouvelle idée brillante. Ou alors je peux engager celles-ci dans un autre projet. Pas mal de personnes, comme Ben Wayenberg de Shelterr, soutiennent d’autres projets dans le réseau.”

Comment, en tant qu’Allemand, êtes-vous arrivé à Bruxelles?

“Quand j’avais neuf ans, mon père a commencé à travailler pour Solvay et notre famille a déménagé à Bruxelles. J’y ai suivi des cours à l’école allemande et plus tard j’ai étudié les sciences de l’informatique à Aix-la-Chapelle. Par pur ennui, j’ai arrêté. Je programmais déjà moi-même des logiciels depuis des années.”

Comment êtes-vous tombé dans le monde des sites porno ?

Thylmann: “J’ai d’abord travaillé comme concepteur de logiciels pour des projets externes. En 2003, avec deux autres geeks, nous avons conçu Nats, un système qui conserve des données statistiques des sites web. C’est, jusqu’à aujourd’hui, le système le plus utilisé par les sites d’entertainment pour adultes. Ceux-ci sont gratuits pour les utilisateurs, mais ils doivent cependant payer pour des films de meilleure qualité par exemple, qu’ils louent en tant qu’abonnés. Nats garde les statistiques de l’utilisation pour pouvoir ensuite facturer les distributeurs de films.

En 2006, j’ai vendu ma part dans Nats et j’avais un capital de départ pour investir moi-même dans le secteur. Commencer à partir de zéro s’est avéré difficile. Puis, le site web privatamateure.com était à vendre. C’est un site web où des particuliers mettent des photos d’eux-mêmes à disposition, en partie gratuitement, mais contre paiement pour les plus recherchées. Avec du meilleur contenu et de l’IT performante, j’ai pu fortement augmenter le nombre de visiteurs, de telle sorte que le rendement a augmenté de 50%.”

Pourquoi n’avez-nous pas acheté une société dans un autre secteur ?

Thylmann: “A l’époque, je ne me souciais pas de cette stigmatisation. En tant que spécialiste software, vous travaillez de préférence dans l’industrie internet la plus prometteuse. Les sites d’entertainment pour adultes étaient alors la niche internet la plus grande et donc la manière la plus rapide de gagner de l’argent. J’ai aussi opté pour ce secteur parce que je le connaissais de fond en comble et que je savais qu’il y avait des opportunités pour une personne avec mon background.

Le secteur était alors caractérisé par deux manquements: le business modèle des prestataires était trop basé sur leur ancienne manière de faire des affaires, par exemple comme loueurs de vidéos ou distributeurs de magazines dans une niche très spécifique. Internet était pour eux une nouveauté difficile à comprendre et ils n’accrochaient pas au modèle du gratuit. Avec une meilleure technologie et une autre approche, nous avons pu augmenter leur rendement. En outre, le secteur était désespérément fragmenté, et j’ai pu mieux faire fructifier l’assistance technique après une économie d’échelle.

Après mon premier investissement, d’autres ont suivi. A partir de 2011, nous avons aussi acheté des sociétés performantes, comme PornHub, YouPorn, xhamsters, Webcams Tube8, ExtremeTube, KeezMovies, Mofos, ExtremeTube, JuicyBoys, Playboy TV et Kissmovie. C’était une opération chère, j’ai donc cherché le soutien financier d’un hedgefonds de New York.”

Cela s’est passé, selon certaines infos, avec un emprunt de 362 millions de dollars par Colbeck Capital, soutenu par Fortress Investment Group.

Thylmann: “Je préfère ne pas confirmer cela. Ma société Manwin était une vache à lait avec des revenus de Playboy TV, des abonnés, des revenus de la publicité et des fournisseurs de contenu. Notre investisseur croyait fort dans notre modèle de croissance et notre approche professionnelle. Cela a réussi. Manwin – sans jeu de mot – a acheté tout ce qui valait la peine d’être acheté et le nombre de visiteurs a augmenté jusqu’à 65 millions par jour. Le chiffre d’affaires s’élevait à presque un demi-milliard de dollars par an, avec une marge d’exploitation de 20 à 30%. 1.200 personnes y travaillaient. Fin 2013, j’ai vendu le leader du marché Manwin au management, qui a été soutenu par un investisseur issu du secteur.”

Vous avez donc été le ‘Roi du Porno’, comme les médias vous appellent, pendant seulement deux ans, en fait?

Thylmann: “C’est exact. Malheureusement (rire). Je n’ai pas de problème avec le titre.”

Vos banquiers ne considèrent pas cela comme un problème, aujourd’hui ?

Thylmann: “Cela oui. Les histoires rendent les affaires compliquées. En dehors du beau prix obtenu, la raison d’en sortir était que l’image négative commençait doucement à peser. Malheureusement, l’industrie de l’entertainment pour adultes est mal vue, alors qu’elle est utilisée partout.”

Selon les médias, vous avez gagné 100 millions de dollars pour la vente de Manwin.

Thylmann: “Faux. C’était plus. La somme totale doit encore se révéler après la période d’earn out, car en cas de succès de la société, la valeur s’avèrera plus élevée.”

Le business du sexe a-t-il beaucoup changé depuis votre arrivée ?

Thylmann: “C’est une industrie compliquée, avec beaucoup de niches et un large éventail de produits différents. Mais à la fin cela revient tout de même toujours à la même chose. Cependant, faire des affaires dans le secteur était devenu plus rude. Pour moi, c’était une troisième raison pour en sortir.”

Le contenu des sites de sexe est-il aussi devenu plus agressif ?

Thylmann: “C’est une intéressante question, qui m’est davantage posée. Définissez agressif ? D’accord, il y a une limite. Les sites plutôt extrêmes étaient beaucoup moins visibles auparavant. Comme l’industrie s’est fort développée ces dernières années, ils émergent plus aujourd’hui. Ils touchent un public plus large, parce qu’il ne doit plus chercher longtemps et que le contenu est gratuit. La curiosité des visiteurs mène à ce qu’ils sont confrontés à des pratiques dont ils ne soupçonnaient pas l’existence auparavant.”

Regardez-vous encore des sites porno ?

Thylmann: “Bien sûr. Je désire savoir ce qui se passe sur mes anciens sites, car une partie de ma rémunération en dépend (rire). Vous ne pouvez pas avoir de meilleure raison pour surfer dessus.”

Y a-t-il une chance que vous retourniez vers le secteur érotique ?

Thylmann: “Non. Je reçois beaucoup de sollicitations pour donner des conseils. Parfois j’hésite, quand je remarque que des sociétés ont besoin de soutien. Il y a un besoin à une image plus professionnelle. L’entertainment pour adultes mérite, en tant que business, de devenir accepté socialement. Il pourra atteindre cela en entreprenant lui-même de manière socialement responsable.”

En Allemagne, vous avez été incarcéré, un moment, en 2012, après une enquête pénale à propos d’évasion fiscale parce que des bénéfices auraient été transférés via des sociétés boîte-aux-lettres à Chypre notamment. Comme cela s’est terminé ?

Thylmann: “La partie fiscale administrative est derrière moi. J’ai payé ce que devais payer. Mais la juridiction d’instruction n’a pas clôturé le dossier. Je ne peux donc pas en dire beaucoup.”

Hans Brockmans, Photographie Thomas De Boever

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